Méthodes d’analyse innovantes et droit de la preuve : le cadre juridique des Laboratoires de Biologie Médicale

Les progrès technologiques en biologie médicale bouleversent les pratiques, mais aussi les règles du jeu judiciaire. À mesure que les laboratoires développent leurs propres méthodes d’analyse, la question se pose : le juge peut-il, demain, fonder une expertise sur une méthode innovante encore absente de la nomenclature classique ?

 

Un nouveau modèle d’accréditation pour les laboratoires de biologie médicale

Depuis la réforme introduite par l’arrêté du 16 juillet 2020 et la norme NF EN ISO 15189:2022, la manière dont l’accréditation d’un laboratoire de biologie médicale est évaluée a profondément évolué. Désormais, ce n’est plus chaque examen isolé qui est accrédité, mais un ensemble cohérent d’examens partageant des caractéristiques communes : ce sont les lignes de portée.

L’article 1er de l’arrêté du 16 juillet 2020 définit la ligne de portée comme un ensemble d’examens de biologie médicale présentant des caractéristiques communes et reposant sur une méthodologie commune d’accréditation. Concrètement, dès lors que certains examens représentatifs d’une ligne de portée sont accrédités, tous les autres examens relevant du même principe technique sont réputés satisfaire à l’obligation d’accréditation prévue à l’article L. 6221-1 du Code de la santé publique.

Cette approche traduit une évolution majeure du dispositif : on passe d’un modèle fondé sur la validation de chaque examen pris isolément à un système centré sur la validation des lignes de portée et sur la reconnaissance des compétences professionnelles communes associées à ces lignes. En d’autres termes, c’est désormais la cohérence technique et la compétence globale du laboratoire qui sont évaluées, plutôt que la simple conformité d’un acte isolé.

Le COFRAC (Comité français d’accréditation) distingue deux niveaux d’accréditation : la portée générale et la portée détaillée.

  • La portée générale, annexée à l’attestation d’accréditation, définit le champ de compétence du laboratoire selon cinq critères : la nature de l’échantillon, la nature de l’examen, le principe technique général, la référence de la méthode et, le cas échéant, les remarques associées. Cette portée doit être rédigée de manière suffisamment claire pour permettre au laboratoire, à ses utilisateurs et au COFRAC de déterminer si une nouvelle méthode relève ou non du champ d’accréditation existant.

  • La portée détaillée, parfois appelée « liste détaillée », recense les examens et analyses effectivement couverts par l’accréditation. Elle est mise à jour directement par le laboratoire dans l’application Flexi+ du COFRAC, en temps réel, et dans un délai maximal d’un mois après toute modification ou tout changement de méthode. La version en vigueur est publiée sur le site du COFRAC ou, à défaut, tenue à la disposition du public par le laboratoire.

Il est en revanche strictement interdit de mettre en œuvre, sous accréditation, une méthode reposant sur un principe technique nouveau ne figurant pas dans la portée générale, ou d’appliquer une méthode sur un autre site que celui défini. De telles évolutions doivent impérativement faire l’objet d’une demande d’extension de portée auprès du COFRAC.

Le dispositif d’accréditation distingue également deux niveaux de flexibilité, qui déterminent le degré d’autonomie du laboratoire dans l’adoption ou le développement de nouvelles méthodes : la portée flexible standard (A) et la portée flexible étendue (B).

  • Dans le cadre de la portée flexible standard (A), le laboratoire peut adopter toute méthode reconnue — normalisée, issue d’un fournisseur ou décrite dans la littérature scientifique — à condition qu’elle repose sur le même principe technique général et reste dans les limites de la portée accréditée. Cette flexibilité permet la mise en œuvre, sous accréditation, de méthodes équivalentes ou d’évolutions technologiques, dès lors que le principe technique reste inchangé et que la compétence analytique du personnel est conservée.

  • La portée flexible étendue (B), quant à elle, confère au laboratoire des prérogatives plus larges. Elle lui permet, sous certaines conditions, de développer ou d’adapter ses propres méthodes d’analyse, appelées « Laboratory Developed Tests » (LDT), et de les mettre en œuvre sous accréditation.

 

Concevoir et valider un “Laboratory Developed Test” : la marche à suivre

Sur le plan procédural, la mise en place d’une méthode développée ou adaptée suit plusieurs étapes obligatoires.

La première consiste à définir le besoin médical ou analytique justifiant la création de la méthode, à établir un tableau des performances attendues et à réaliser une première analyse de risque pour déterminer si la méthode relève de la portée standard (A) ou étendue (B). Cette étape s’appuie sur les articles 7.3.3 et 7.5.1 de la norme ISO 15189 et sur les paragraphes 6.1 et 6.2 du guide COFRAC SH GTA 04.

Vient ensuite la maîtrise des risques, selon l’approche dite des « 5M » (Méthode, Main-d’œuvre, Matériel, Milieu, Matière), qui permet d’identifier les points critiques des phases pré-analytiques, analytiques et post-analytiques. Cette analyse doit être conforme à la norme ISO 22367:2020 et aux références du guide SH GTA 04, paragraphe 7.

L’évaluation et le choix de la méthode reposent sur la réalisation d’essais expérimentaux selon un plan de validation établi : comparaison de techniques, études de répétabilité et de reproductibilité, évaluation de la sensibilité, de la spécificité, de la robustesse et de la justesse, ainsi que calcul des incertitudes de mesure, conformément au guide COFRAC SH GTA 04. L’ensemble des résultats donne lieu à un rapport de validation signé par le biologiste responsable.

Une fois ces étapes franchies, la validation de la méthode intervient. Le dossier complet est compilé, comprenant les objectifs, le protocole expérimental, les résultats, l’interprétation statistique et la conclusion. Le biologiste médical responsable en assure la revue et l’approbation, puis le dossier est archivé dans le système documentaire du laboratoire conformément aux exigences du SH REF 02, paragraphe 4.13, et aux paragraphes 5.5 et 4.14 de la norme ISO 15189. En principe, une procédure interne encadre la gestion de la portée flexible étendue (type B), précisant les conditions de conception et de validation des méthodes, les compétences du personnel, ainsi que l’analyse et la maîtrise des risques.

Une fois la validation interne achevée et approuvée par le biologiste responsable, la méthode est intégrée à la portée d’accréditation. Le laboratoire met alors à jour sa liste détaillée dans l’outil Flexi+, gère les ajouts, suspensions ou suppressions d’examens, et veille à la cohérence entre la portée détaillée et la pratique réelle. Si la méthode implique de nouveaux types d’échantillons, de nouvelles séquences analytiques ou des examens ne figurant pas dans la portée accréditée, elle ne peut être réalisée sous accréditation sans décision préalable du COFRAC. Dans ce cas, une demande d’extension d’accréditation doit être formulée et instruite selon les dispositions du règlement d’accréditation. Dans tous les cas, les dossiers de validation correspondants doivent être tenus à disposition.

Le laboratoire peut ensuite mettre en œuvre la méthode entre deux visites d’évaluation du COFRAC, dès lors qu’elle a été validée en interne par le biologiste responsable. Lorsque l’analyse est innovante ou non inscrite à la nomenclature des actes de biologie médicale, le laboratoire doit communiquer au public une information factuelle, neutre et conforme à la documentation du système qualité. Il doit préciser qu’il s’agit d’un test développé localement, indiquer sa finalité, ses performances et ses limites connues, et s’abstenir de toute promesse de bénéfice clinique non démontré.

Parallèlement, le laboratoire met en œuvre un suivi rigoureux des performances analytiques par des contrôles internes de qualité (CIQ), des évaluations externes (EEQ) et des études d’incertitude. Les performances sont régulièrement réévaluées dans le cadre du système qualité et lors des audits internes, conformément au paragraphe 7.7 de la norme ISO 15189 et au guide SH GTA 04. L’intégralité de la documentation, y compris la gestion des risques et la traçabilité, doit être intégrée au système qualité.

Le COFRAC vérifie a posteriori la conformité du processus lors du suivi du cycle d’accréditation. Il impose que le processus de gestion de la portée flexible couvre l’ensemble de la chaîne de développement. Toutes les étapes doivent être auditables : les enregistrements doivent démontrer la justification de chaque évolution, identifier les responsables et retracer l’ensemble des étapes réalisées. L’évaluation du COFRAC porte alors sur la compétence technique et organisationnelle du laboratoire à l’intérieur de cette ligne de portée. La méthode nouvelle est ainsi couverte par l’accréditation à compter de son inscription dans la portée détaillée, le COFRAC procédant à la vérification a posteriori des enregistrements et des preuves de validation lors des évaluations périodiques.

L’autonomie encadrée du laboratoire : innovation et responsabilité

Cette faculté de développer des méthodes innovantes confère au laboratoire une réelle autonomie scientifique, mais cette liberté demeure strictement encadrée. Elle s’accompagne d’une responsabilité pleine et entière en matière de maîtrise technique, de validation scientifique et de traçabilité documentaire. Le laboratoire reste ainsi entièrement responsable des méthodes qu’il développe ou adapte, tant sur le plan de leur fiabilité que de leur conformité aux exigences réglementaires et normatives.

Toute méthode mise en œuvre sans respecter les dispositions documentées, ou en dehors du champ d’accréditation, expose le laboratoire à des sanctions administratives, disciplinaires ou pénales.

 

Science et justice : un dialogue à construire

Une fois la méthode innovante validée, documentée et scientifiquement reconnue, rien ne s’oppose, en théorie, à ce qu’un juge ordonne son utilisation dans le cadre d’une mesure d’instruction, qu’il s’agisse du juge des référés, sur le fondement de l’article 145 du Code de procédure civile, ou du juge du fond, en application des articles 232 et suivants.

La liberté dont dispose le juge dans le choix du technicien et la définition de la mission d’expertise lui permet de recourir à des procédés analytiques récents, à condition qu’ils soient légalement admissibles, utiles à la manifestation de la vérité et proportionnés à la finalité probatoire poursuivie.

Cette faculté marque une ouverture importante du droit judiciaire à la science et à l’innovation. Le juge, gardien des libertés individuelles et garant de l’équilibre du procès, devient également un acteur du progrès scientifique, dès lors qu’il intègre dans sa décision des méthodes d’analyse issues de la recherche et validées selon les standards de qualité imposés par la norme NF EN ISO 15189. Le recours à une méthode innovante, notamment en biologie médicale, n’a donc rien d’incompatible avec les principes du procès équitable : il en est une évolution naturelle, à la condition que la mesure reste encadrée par le contradictoire, le consentement et la proportionnalité.

Sur le plan pratique, cette évolution suppose toutefois une vigilance accrue. Le juge devra s’assurer que la méthode proposée a fait l’objet d’une validation interne conforme aux exigences du COFRAC et qu’elle repose sur un principe technique déjà reconnu dans la portée générale du laboratoire. Il appréciera également la fiabilité scientifique du procédé, la compétence du technicien commis, ainsi que la pertinence de l’analyse au regard du litige potentiel ou en cours. Ces garanties sont essentielles pour éviter toute dérive vers des mesures exploratoires, abusives ou non reproductibles.

L’enjeu, pour les laboratoires, est donc double : d’une part, poursuivre l’innovation dans le respect des règles d’accréditation et de transparence ; d’autre part, être en mesure de démontrer, par un dossier complet et traçable, la robustesse scientifique et la conformité réglementaire de chaque nouvelle méthode. C’est à ce prix que les analyses développées en interne pourront être intégrées sans réserve dans le cadre judiciaire, et servir efficacement la recherche de la vérité.

Mon activité d’avocat s’inscrit précisément à cette frontière entre science et droit, pour faire reconnaître la valeur probante des analyses innovantes et garantir leur usage dans un cadre juridiquement sûr.Vous avez une question sur la validation d’une méthode d’analyse, une expertise judiciaire ou un contentieux médical ? N’hésitez pas à me contacter.

 

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