Instruction en famille : défendre la situation propre de l’enfant

Les textes sont clairs : l’intérêt supérieur de l’enfant est la boussole du droit de l’éducation.

L’article 29 de la Convention internationale des droits de l’enfant (CIDE) rappelle avec force que l’éducation doit favoriser « l’épanouissement de la personnalité de l’enfant » et « le développement de ses dons et de ses aptitudes […] dans toute la mesure de leurs potentialités ».

Ce principe, d’apparence universelle, inspire notre droit interne.

Le Code de l’éducation, en son article L. 131-5, reprend cette exigence en prévoyant que les responsables légaux peuvent, sous certaines conditions strictement encadrées, assurer eux-mêmes l’instruction de leur enfant, dès lors que cela répond à son intérêt supérieur.

Pourtant, le décalage entre les principes affichés et la réalité administrative est saisissant.

Depuis la loi du 24 août 2021 confortant le respect des principes de la République, l’instruction en famille (IEF) est passée d’un régime déclaratif à un régime d’autorisation préalable, transformant ce qui relevait d’une liberté en une exception tolérée. Le Conseil d’État, dans plusieurs décisions du 13 décembre 2022 (nos 462274 et a.) et du 26 décembre 2022 (n° 466760), a validé cette évolution, estimant que l’article L. 131-5 du Code de l’éducation ne méconnaît ni le droit à l’instruction, ni le droit des parents d’assurer l’éducation de leurs enfants conformément à leurs convictions (Prot. add. n° 1 à la CEDH, art. 2).

Mais dans la pratique, les familles invoquant la “situation propre de l’enfant”, quatrième motif prévu par le texte, se heurtent à un véritable parcours du combattant.

Les autorités académiques, souvent guidées par une lecture restrictive, accordent les autorisations au compte-gouttes, quand bien même le projet éducatif présenté répond manifestement aux besoins particuliers de l’enfant.

 

Le cadre juridique de la situation propre de l’enfant

Le texte prévoit que les responsables légaux d’un enfant soumis à l’obligation scolaire peuvent, sous réserve d’une autorisation délivrée par l’autorité compétente, assurer eux-mêmes son instruction, notamment lorsqu’il existe une « situation propre à l’enfant motivant le projet éducatif », à condition de justifier de la capacité de la ou des personnes chargées d’instruire à le faire dans le respect de l’intérêt supérieur de l’enfant.

L’article R. 131-11-5 du même code précise les éléments que doit comprendre une telle demande : une présentation écrite du projet éducatif décrivant les méthodes et démarches pédagogiques adaptées aux capacités et au rythme de l’enfant, les supports et ressources éducatives utilisés, l’organisation du temps d’instruction, les justificatifs relatifs à la disponibilité et au diplôme de la personne chargée d’enseigner, ainsi qu’une déclaration sur l’honneur attestant de l’enseignement majoritairement en langue française.

En théorie, le dispositif paraît équilibré.

Le législateur n’a pas souhaité enfermer la notion de « situation propre à l’enfant » dans une définition limitative ou rigide. Ce silence témoigne de la volonté d’accorder à l’administration une marge d’appréciation afin de permettre une prise en compte individualisée des particularités de chaque enfant. Il s’agissait ainsi d’ouvrir la possibilité d’une instruction en famille lorsque l’enfant présente des besoins éducatifs spécifiques, sans que ceux-ci soient nécessairement pathologiques ou exceptionnels.

Une interprétation administrative devenue trop restrictive

Cependant, dans la pratique, cette marge d’appréciation s’est transformée en un véritable pouvoir discrétionnaire.

Les autorités académiques, interprétant de manière restrictive le texte, conditionnent fréquemment la reconnaissance d’une situation propre à l’existence d’un trouble médical, d’un handicap ou d’une phobie scolaire, alors même qu’aucune de ces circonstances n’est exigée par la loi.

Une telle lecture, fondée sur une logique de suspicion, excède manifestement les bornes de la légalité.

Elle introduit des critères étrangers au texte et s’écarte de son esprit, qui est de garantir à l’enfant une instruction adaptée, complète et conforme à son intérêt supérieur.

 

Le contrôle de l’administration doit rester limité à la finalité fixée par la loi

L’instruction dans la famille, dès lors que les conditions légales sont remplies, devrait être pleinement autorisée.

En ce sens, la réponse ministérielle du 14 mars 2023 à l’attention des députés est explicite : « Il ne s'agit pas d'interdire sans discernement tous les dispositifs d'instruction dans la famille et de porter atteinte aux pratiques positives. La notion d'intérêt supérieur de l'enfant et le respect des droits de l'enfant, en particulier à une éducation complète, sont les critères principaux qui gouvernent l'ensemble du dispositif. »

Cette interprétation est d’ailleurs conforme à la jurisprudence constitutionnelle.

Le Conseil constitutionnel, dans sa décision n° 2021-823 DC du 13 août 2021, a précisé que le critère de la situation propre à l’enfant a pour seule finalité de permettre à l’autorité administrative de vérifier que le projet éducatif comporte les éléments essentiels de l’enseignement et de la pédagogie adaptés aux capacités et au rythme d’apprentissage de l’enfant. Il en résulte que le contrôle de l’administration doit demeurer strictement circonscrit à cette finalité. Comme le rappelle le juge constitutionnel, il appartient à l’administration de s’assurer que la personne chargée d’instruire l’enfant est en mesure de lui permettre d’acquérir le socle commun de connaissances, de compétences et de culture prévu à l’article L. 122-1-1 du Code de l’éducation, et que le projet présenté expose une pédagogie adaptée aux besoins individuels de l’enfant, à l’exclusion de toute autre considération.

Cette interprétation a été reprise et précisée par la cour administrative d’appel de Toulouse (CAA Toulouse, 9 juill. 2024, n° 23TL01864), qui a souligné que la décision de l’administration doit être fondée uniquement sur les critères fixés par la loi.

Dans le même sens, le Conseil d’État a confirmé, dans un arrêt du 13 décembre 2022 (n° 462274), que l’autorité administrative est tenue de procéder à une appréciation in concreto de la situation propre de chaque enfant. Elle ne peut, à l’appui d’un refus d’autorisation, se fonder sur des considérations générales ou sur des hypothèses abstraites, mais doit rechercher si le projet d’instruction est effectivement conforme à l’intérêt de l’enfant et adapté à ses capacités. Le Conseil d’État énonce que la demande doit exposer de manière étayée la situation propre de l’enfant motivant, dans son intérêt, le projet d’instruction dans la famille, et qu’il doit être justifié que le projet comporte les éléments essentiels de la pédagogie et de l’enseignement adaptés à son rythme d’apprentissage, ainsi que la capacité des personnes en charge d’assurer cette instruction.

La jurisprudence administrative rappelle donc régulièrement que l’administration ne peut exiger des justifications non prévues par la loi. Dans une décision du 10 octobre 2022 (TA Rennes, 3e ch., n° 2204139), le tribunal a annulé le refus d’autorisation opposé à des parents au motif que le directeur académique avait demandé des éléments dépassant le cadre légal. Le tribunal a jugé que le projet éducatif présenté était suffisamment justifié au regard de la situation de l’enfant et a enjoint à l’administration d’autoriser l’instruction en famille, considérant que le refus reposait sur une erreur manifeste d’appréciation.

L’administration ne peut ainsi subordonner la reconnaissance d’une situation propre à la démonstration d’une impossibilité de scolarisation ou de circonstances exceptionnelles (TA Versailles, 17 oct. 2022, n° 2207236 ; TA Toulouse, ord. 26 août 2022, n° 2204413).

Aucun autre critère que ceux expressément prévus par la loi ne saurait donc être retenu pour refuser une autorisation.

Présenter un projet éducatif solide pour démontrer sa capacité à instruire

En conséquence, il appartient aux parents sollicitant une autorisation d’instruction en famille de présenter un projet éducatif complet, précis et documenté.

Celui-ci doit comporter une description détaillée des méthodes pédagogiques envisagées, des supports éducatifs utilisés – manuels, ressources documentaires, activités expérimentales – ainsi qu’une organisation du temps d’apprentissage cohérente avec le rythme de l’enfant.

L’ensemble doit permettre d’apprécier concrètement la capacité des parents à assurer une instruction conforme aux objectifs fixés par la loi.

À défaut, le projet risquerait d’être considéré comme insuffisamment étayé.

 

Cas particuliers : une approche globale de la situation propre

  • Le renouvellement de l’autorisation d’IEF : la stabilité des situations reconnues

La question du renouvellement de l’autorisation soulève également d’importants enjeux. Par une décision du 20 novembre 2024 (TA Limoges, n° 2024011), le juge administratif a estimé que, lorsque l’enfant a déjà bénéficié d’une autorisation fondée sur sa situation propre et qu’aucun changement notable n’est intervenu, l’administration ne peut légalement refuser le renouvellement.

Dans cette affaire, le tribunal a considéré que l’absence d’évolution dans la situation de l’enfant imposait à l’administration de maintenir l’autorisation initialement accordée, dès lors que les bilans d’inspection antérieurs étaient positifs.

  • La prise en compte de la fratrie : un souci de non-discrimination

Enfin, la jurisprudence récente a admis que la situation propre d’un enfant peut être appréciée dans un cadre familial plus large.

Le tribunal administratif de Poitiers, dans une décision du 30 mai 2024 (n° 2202583), a reconnu que l’instruction à domicile de l’ensemble d’une fratrie constitue un élément pertinent de la situation propre de chacun des enfants concernés.

Le juge a estimé qu’il serait incohérent de reconnaître cette situation pour deux enfants d’une même famille et de la refuser au troisième, dès lors que le projet éducatif est commun et indissociable.

Recours et défense des familles en cas de refus d’autorisation d’IEF

Bien que la loi prévoie expressément la possibilité d’une instruction en famille fondée sur la situation propre de l’enfant, son application demeure aujourd’hui marquée par une réticence administrative persistante.

Lorsqu’une autorisation d’instruction en famille est refusée par l’administration, les parents disposent de plusieurs voies de recours, qu’il convient de manier avec rigueur.

Le recours pour excès de pouvoir doit être introduit dans un délai de deux mois à compter de la notification du refus, conformément à l’article R. 421-1 du Code de justice administrative.

Lorsque le législateur ou le règlement prévoit un recours administratif préalable obligatoire (RAPO), comme c’est le cas en matière d’instruction en famille, le délai contentieux est interrompu pendant l’examen du recours administratif et recommence à courir à compter de la notification de la décision rendue sur ce recours (CE, Sect., 18 mars 1988, Communauté urbaine de Strasbourg, n° 68187).

Il importe de rappeler que la décision de refus d’autorisation d’instruction en famille doit impérativement être motivée (article L. 211-2 du Code des relations entre le public et l’administration (CRPA)). Le Conseil d’État juge de manière constante que les formules générales, stéréotypées ou abstraites ne sauraient satisfaire à cette exigence. Ainsi, la seule reprise d’une disposition légale ou réglementaire, sans mention des éléments de fait propres au dossier, ne permet pas de caractériser une motivation suffisante (CE, 18 mai 1984, SA PMI, n° 48812 ; CE, 12 févr. 1992, Commune de Mantes-la-Jolie, n° 86439).

Les requérants devront démontrer également, en tant que parents directement visés par la décision, qu’ils justifient d’un intérêt à agir à la fois personnel, direct et certain. La décision affecte en effet leur liberté éducative, leur organisation familiale, mais également l’équilibre psychologique et pédagogique de leur enfant.

En parallèle du recours au fond, il est souvent nécessaire, compte tenu du calendrier scolaire et de l’impact immédiat d’un refus d’autorisation, d’engager une procédure de référé-suspension sur le fondement de l’article L. 521-1 du Code de justice administrative. Le juge des référés peut suspendre l’exécution d’une décision administrative lorsque deux conditions cumulatives sont réunies : l’urgence et l’existence d’un doute sérieux quant à la légalité de la décision contestée.

L’urgence, notion centrale du référé, s’apprécie concrètement et globalement. Elle est caractérisée lorsque l’exécution de l’acte porte une atteinte grave et immédiate à la situation du requérant, à ses droits ou à ses intérêts (CE, 25 juill. 2008, Ministre de la Culture et de la Communication, n° 314707).

En matière d’instruction en famille, la proximité de la rentrée scolaire, la nécessité de garantir la continuité de l’éducation et la spécificité du projet pédagogique peuvent justifier la reconnaissance de l’urgence, à condition d’être expressément étayées. 

L’ordonnance rendue par le tribunal administratif de Toulon le 29 août 2025 (n° 2503260) illustre cette approche pragmatique. Dans cette affaire, le juge des référés a suspendu la décision du rectorat de Nice refusant l’autorisation d’instruction en famille, après avoir constaté que la situation particulière de l’enfant – hypersensibilité, trouble de l’attention, anxiété – et la proximité de la rentrée scolaire rendaient urgente la prise d’une mesure provisoire. Le tribunal a également relevé l’existence d’un doute sérieux quant à la légalité du refus, en ce que le rectorat avait commis une erreur manifeste d’appréciation en considérant que la situation propre de l’enfant n’était pas établie ou compatible avec la scolarisation en établissement. Le juge a ainsi ordonné à la rectrice de délivrer une autorisation provisoire d’instruction en famille dans un délai de sept jours, et a condamné l’État à indemniser les requérants au titre des frais exposés.

Toutefois, il convient de souligner que de nombreux recours échouent en pratique faute pour les requérants d’avoir démontré juridiquement l’urgence. Les juges demeurent attentifs à la qualité de la démonstration, exigeant que soit apportée la preuve d’un préjudice grave et immédiat pour l’enfant, et non une simple gêne ou un désaccord de principe avec la décision administrative.

 

Conclusion : la défense du droit à une éducation adaptée passe par l’assistance d’un avocat

L’instruction en famille fondée sur la situation propre de l’enfant illustre aujourd’hui l’un des points de tension les plus sensibles entre la liberté éducative des parents et le contrôle administratif de l’État.         

Si le droit positif reconnaît pleinement cette possibilité, sa mise en œuvre demeure trop souvent entravée par une interprétation restrictive des textes, éloignée de l’esprit du législateur et du principe fondamental de l’intérêt supérieur de l’enfant.

Dans ce contexte, l’accompagnement d’un avocat maîtrisant le contentieux administratif est non seulement utile, mais déterminant. L’avocat intervient à chaque étape du processus : en amont, pour la rédaction du projet éducatif et la constitution du dossier d’autorisation ; en aval, pour contester un refus ou une décision irrégulière devant les juridictions administratives.

Si vous êtes confronté à un refus d’autorisation d’instruction en famille, à un rejet de recours administratif ou à une décision injustifiée de l’autorité académique, je peux vous assister dans la défense de vos droits et de ceux de votre enfant. Chaque dossier est unique et mérite une approche personnalisée, fondée sur une compréhension fine de votre situation familiale et du cadre juridique applicable.

Pour toute question ou accompagnement dans une procédure d’instruction en famille, vous pouvez me contacter afin d’échanger sur votre situation et envisager ensemble les démarches les plus adaptées.

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